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« La Ville captivée », de Laurent Cuvelier : lire les murs de Paris au XVIIIᵉ siècle

« La Ville captivée. Affichage et publicité au XVIIIe siècle », de Laurent Cuvelier, Flammarion, « Le présent de l’histoire », 368 p., 24,90 €, numérique 17 €.
Comme l’a enseigné l’historien italien Armando Petrucci (1932-2018), le lien est fort et ancien, depuis la Rome antique, entre les monuments et les écrits, tant les écritures épigraphiques qui manifestent l’autorité des pouvoirs politiques ou religieux que leur envers, les graffitis subrepticement tracés sur des espaces qui ne leur étaient pas destinés. Le beau livre de Laurent Cuvelier, La Ville captivée, ajoute un chapitre inédit à cette histoire de longue durée.
Au XVIIIe siècle, les murs des grandes villes européennes se couvrent de placards manuscrits et, plus encore, d’affiches imprimées. Présentes dans les récits des voyageurs, les descriptions des cités et, comme l’attestent les nombreuses reproductions du ­livre, les tableaux et les gravures, ces affiches, fragiles, éphémères, arrachées, ont massivement disparu. Le premier mérite de Laurent Cuvelier est d’avoir retrouvé dans les archives et bibliothèques 6 000 d’entre elles, qui furent collées sur les murs parisiens entre la mi-XVIIe siècle et 1799. 4 300 le furent durant les années révolutionnaires, après la loi de 1791, qui établissait la liberté d’afficher.
La brillante démonstration du livre repose sur une série de ­contradictions. La première oppose ordre et subversion. Les autorités ont considéré les affiches comme une « écriture publique du pouvoir », qui publiait les lois, détaillait les réglementations, énumérait interdictions et obligations. Cet « ordre mural » s’est toutefois révélé impuissant face aux usages militants des affiches. Ceux-ci ont mobilisé les écrits collés sur les murs dans toutes les crises de l’Ancien Régime : crises du blé, crises parlementaires, crise janséniste. Ils ont nourri les « guerres d’affiches » qui ont scandé le cours de la Révolution. En dialogue avec Arlette Farge et Robert Darnton, Laurent Cuvelier montre que les écrits affichés sur les murs, lus à haute voix pour ceux qui ne pouvaient les déchiffrer, ont joué un rôle essentiel dans la constitution d’une opinion publique populaire, détachée de l’obéissance aux autorités.
Une seconde contradiction est liée aux avancées de la société de consommation au cours du XVIIIe siècle. Alors que les affiches des institutions visaient à informer et à instruire sujets et citoyens, leur utilisation massive par les commerces et les spectacles de tous ordres les ont transformées en un puissant instrument de publicité (y compris mensongère). En se lançant « à l’assaut des murs », le capitalisme commercial du XVIIIe siècle et la démocratisation des loisirs ont dominé l’économie de l’affichage.
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